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notes


Proposition L, Corollaire et Scolie. — Il serait intéressant de rapprocher le jugement porté par Spinoza sur la miséricorde (ou la pitié) de celui de Nietzsche ; d’une manière générale et en dépit de l’extrême diversité de leurs génies, il me paraît que la haute raison de Spinoza et la téméraire volonté de puissance de Nietzsche aboutissent à des conclusions souvent voisines. L’héroïsme est le caractère essentiel de l’une et de l’autre ; nul besoin d’être consolé, nul idéal ; le réel doit suffire ; un être sain et fort n’attend ni n’espère rien, ne connaît aucun maître, aucun juge, transcendant, transcendantal ; il est, il s’impose, il agit, non par crainte comme un esclave, ou pour une fin comme un salarié, non pas même par respect d’une règle qu’il porterait en lui, mais librement, par une souple nécessité de nature. Nietzsche et Spinoza ont tous deux dépassé la morale. La différence la plus profonde que j’aperçoive entre eux, est que l’un, préoccupé surtout de justifier sa vie, arrive à tout embrasser, ne mésestime pas les illusions d’autrui, leur assigne leur juste place dans son Éthique ou doctrine de l’être ; tandis que l’autre oppose crûment sa force à la faiblesse du voisin, exprime son immoralité avec une sorte d’insolence joyeuse. Spinoza est un philosophe et un homme doux, Nietzsche un artiste et même un peu un acteur, le plus passionnément sincère des acteurs.


Proposition LIII, Démonstration. — Page 5, j’ai adopté, pour corriger le texte de Land, la leçon proposée par Léopold, de préférence à celle qu’indique W. Meijer, parce que, dans la Proposition 26, Spinoza montre en effet que toute connaissance distincte acquise par nous, produit une augmentation de notre puissance d’agir ; avec la leçon de Meijer, ce renvoi se comprend moins bien.


Proposition LIV, Scolie. — Pour l’interprétation de ce passage, voir les notes précédentes, en particulier celles qui se rapportent aux Propositions 7 et 18, au Scolie de la Proposition 18, au Scolie 2 de la Proposition 37, à la Proposition 50. Spinoza justifie à l’égard de l’homme non affranchi l’emploi de mobiles irrationnels et à l’égard de la foule en particulier les moyens d’intimidation. Il est permis de croire que le spectacle auquel Spinoza avait assisté d’une foule s’emportant à d’affreux excès (voir la notice sur le Traité de Réforme de l’entendement, vol. I, p. 218) était présent à son esprit quand il écrivait : terret vulgus, nisi metuat ; pour l’expression elle est, on le sait, inspirée de Tacite (Annales, I, 29 : nihil in vulgo modicum : terrere ni paveant ; cf. Traité Politique, chap. vii, § 27).