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éthique

pendant Spinoza n’a encore jamais dit que l’amour peut être un chatouillement, je crois qu’il faut conserver igitur.


Proposition XLV, Corollaire II, Scolie. — Les mots : mea hæc est ratio, sic animum induxi meum, sont empruntés à Térence (Adelphes, v. 68 ; voir plus haut la note relative au Scolie de la Prop. 17) ; il vaut la peine d’observer que le monologue de Micion, où ils se trouvent, exprime dans son ensemble un sentiment très analogue à celui que nous savons être celui de Spinoza (voir la Prop. 18 et la note correspondante) ; c’est par la douceur, la bonté, c’est en éveillant dans l’âme des sentiments joyeux, qu’on peut espérer d’améliorer les hommes. Spinoza s’accorde non seulement avec Térence, qui paraît lui avoir été particulièrement cher, mais avec Montaigne (de nombreux passages des Essais donneraient lieu à d’intéressants rapprochements avec l’Éthique), avec Molière, imitateur des Adelphes dans l’École des maris, avec tous les génies très humains dont la sagesse fut à la fois aimable et sans fadeur, non pas indulgente par faiblesse ou ignorance, mais virilement respectueuse de la vie parce qu’elle la connaissait et l’acceptait tout entière. Dans le très beau passage où sont vantés les heureux effets du confort et qui contient l’éloge, non du faste certes, mais d’un certain raffinement, il est permis, je pense, d’admirer, outre la vérité de la doctrine, la délicatesse du sentiment. Très pauvre lui-même, presque sans besoins, Spinoza sait gré à la riche Hollande d’être non seulement une terre de liberté, au moins relative, hospitalière aux Juifs d’Espagne et à tous les persécutés, lieu d’asile pour le penseur, mais un pays où l’homme s’applique à diversifier et embellir sa vie : pays de grand commerce et d’industrie adroite, importateur d’épices et producteur de fines étoffes, pays de gras pâturages aussi et de laiteries bien tenues, d’utiles moulins à vent, de jardins fleuris, d’ombrages délectables, de logis sains et plaisants éclairés d’un rayon d’art. La phrase sur les parfums, les plantes vertes, la parure, etc., me semble à la fois d’un grand philosophe et d’un homme qui, s’il ne fut pas lui-même peintre (il dessinait seulement), vit s’épanouir une école de peinture amie du vrai entre toutes, et passa sa jeunesse à deux pas de la maison habitée par Rembrandt. Pour le fond de la pensée, il va de soi qu’une philosophie de l’immanence, comme celle de Spinoza, ne saurait professer le dédain du corps ; la vie spirituelle vraie ne s’oppose en aucune façon à la vie charnelle comprise comme il faut ; tout au contraire ces deux vies sont nécessaires l’une à l’autre et, sans se confondre, s’unissent indissolublement dans la durée.