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émotionnelles de l’individu, quelle la part des idées et quelle celle du milieu. Absorbés par ce que leur école appelle « la législation pratique » (selon toute apparence, ils entendent par ces mots la législation qui ne connaît que les effets et les causes immédiates et ignore les autres), ils estiment qu’après tout les recherches poursuivies par la science sociale n’auront pas grande utilité.

Il y aurait cependant quelque chose à dire en faveur d’une étude dont ces hommes pratiques font si peu de cas. Nous n’aurons pas l’audace de la mettre sur le même pied que ces études historiques auxquelles ils prennent tant d’intérêt. Nous admettrons que les généalogies royales, les intrigues de cour et la chute des dynasties ont une portée bien supérieure. Le complot dirigé contre la vie d’Amy Robsart a-t-il été ourdi par Leicester en personne, avec la reine Élisabeth pour complice ? Le récit que le roi Jacques a fait de la conspiration Gowrie est-il exact ? Autant de problèmes qu’il faut de toute nécessité résoudre, sans quoi il est impossible de raisonner sur le développement de nos institutions politiques et d’arriver à des conclusions sérieuses. Frédéric Ier, roi de Prusse, était en lutte avec sa belle-mère ; il l’accusait d’avoir voulu l’empoisonner et s’était réfugié chez sa tante ; une fois Électeur, il emploie l’intrigue et l’argent pour devenir roi une demi-heure après sa mort, son fils Frédéric-Guillaume donne congé à ses courtisans et commence à faire des économies : il s’occupe presque exclusivement de recruter et d’exercer ses troupes ; il prend son fils en grippe et le persécute, etc. Ce sont là des événements d’une importance majeure, ainsi que tous ceux qui concernent les familles princières. Comment comprendrait-on, sans eux, la marche de la civilisation ? Personne ne peut se dispenser de connaître à fond les campagnes de Napoléon ; les guerres d’Italie et les exactions qui les ont accompagnées ; la perfidie dont Venise a été la victime ; l’expédition d’Égypte, avec ses victoires, ses massacres, l’échec de Saint-Jean d’Acre et la retraite qui en a été la conséquence ; les campagnes d’Allemagne, d’Espagne, de Russie, etc. Comment celui qui ignore la stratégie de Napoléon, sa tactique, ses victoires, ses défaites et ses massacres, pourrait-il juger de la valeur de nos institutions et des modifications législatives qu’il faut y apporter ?