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la mécanique pour type d’une science très-avancée, et cherchons ce qu’elle nous permettra de prévoir à l’égard d’un phénomène concret et qui devra rester en dehors de nos prévisions. Supposons qu’il s’agisse de faire sauter une mine et qu’on demande ce que deviendront les fragments de matière projetés dans les airs. Voyons jusqu’à quel point les lois connues de la dynamique nous autoriseront à répondre. Avant les observations de la science, nous savions par expérience qu’après avoir été projetés plus ou moins haut les fragments retomberaient ; qu’ils tomberaient sur le sol après des intervalles de temps inégaux et à des places différentes, mais situées dans un rayon circonscrit. La science nous a mis en état d’aller plus loin. Les mêmes principes qui nous permettent de prévoir la trajectoire d’une planète ou d’un boulet nous enseignent que chacun des fragments décrira une courbe ; que toutes ces courbes, bien que différentes entre elles, seront de la même espèce ; que (en supposant que l’on néglige les déviations dues à la résistance de l’air) ce seront des portions d’ellipses assez excentriques pour se confondre avec des paraboles, du moins lorsque la pression des gaz cessera d’accélérer le mouvement. Les principes de la mécanique nous permettent de prévoir tout cela avec certitude, mais nous interrogerions vainement la science sur le sort particulier de chacun des fragments. La partie gauche de la masse sous laquelle est placée la poudre sautera-t-elle en un seul morceau ou en plusieurs ? Ce morceau-ci sera-t-il lancé plus haut que celui-là ? Un des débris sera-t-il arrêté dans sa course par un obstacle contre lequel il viendra se heurter ? Quel sera le fragment arrêté ? Autant de questions que la mécanique laisse sans réponses. Non qu’il puisse rien se passer qui ne soit conforme à des lois, mais les données nous manquent pour établir nos prévisions.

On voit qu’au sujet d’un phénomène concret tant soit peu complexe la plus exacte des sciences ne nous permettra que des prévisions, ou générales, ou en partie spéciales. S’il en est ainsi, lorsque les rapports de cause à effet sont simples et parfaitement connus, à plus forte raison devons-nous nous attendre à ce qu’il en soit de même lorsqu’il s’agira de rapports de cause à effet compliqués, et sur lesquels nous ne possédons encore que les notions les plus élémentaires.