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un facteur essentiel. Pour qu’un homme persévère pendant des années, sans se laisser arrêter par les déboires et les soucis, à donner son temps et son argent à une entreprise, il faut que cet homme soit poussé par un mobile puissant. La presse Walter n’était pas un simple tour de force. Pourquoi donc a-t-elle été produite ? Pour satisfaire rapidement à une demande énorme — pour tirer avec une seule machine 16,000 exemplaires par heure. Et d’où venait cette demande ? D’un public lisant très-nombreux, dressé avec le temps à avoir faim en se levant de nouvelles de tout genre. C’est le négociant, qui a besoin de savoir le dernier cours de Londres et le dernier télégramme de l’étranger. C’est l’homme politique, qui doit connaître le résultat du vote de cette nuit et le nouveau mouvement diplomatique, et avoir lu les discours prononcés au meeting d’hier. C’est le sportman qui cherche le compte-rendu des courses de la veille et la liste des paris engagés. Ce sont les dames, curieuses de savoir qui se marie, naît ou meurt. Si l’on recherche maintenant l’origine de tous ces désirs qui réclament leur satisfaction, on trouvera qu’ils sont concomitants de notre état social général, des diverses activités, commerciale, politique, philanthropique ou autre, de notre société. En effet, dans toute communauté où ces activités ne jouent pas le rôle principal, la demande pour les nouvelles de toutes sortes n’est jamais si pressante.

Vous voyez combien est compliquée la genèse de la presse Walter, en tant que phénomène sociologique. Toute une encyclopédie d’inventions mécaniques, dont quelques-unes remontent aux temps primitifs, concourent à l’expliquer. Elle présuppose des milliers d’années d’une discipline intellectuelle, grâce à laquelle la nature impulsive du sauvage imprévoyant arrive par voie d’évolution à la nature réfléchie de l’homme qui sait se maîtriser, du moins relativement, de l’homme capable de sacrifier ses commodités actuelles au bien de l’avenir. Elle présuppose encore l’éducation non moins longue qui développe chez l’homme la faculté inventive, à peu près absente chez le sauvage, et fait acquérir la précision, qualité dont le sauvage n’a pas même la notion. Enfin, la presse Walter présuppose le lent progrès politique et social, à la fois cause et conséquence