Page:Spencer - La Science sociale.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Observons maintenant une lacune du même genre chez un adulte. Vous avez peut-être reçu dans le cours de votre vie une éducation musicale quelconque ? Rappelez-vous les phases que vous avez traversées. Dans votre enfance, une symphonie était pour vous un mystère et les applaudissements qu’elle arrachait aux autres vous intriguaient. Les facultés musicales s’étant lentement développées avec l’âge, vous avez commencé à comprendre. Aujourd’hui, les combinaisons musicales compliquées qui jadis ne vous faisaient que peu ou point de plaisir, vous procurent vos plus vives jouissances. En vous rappelant tout ceci, vous soupçonnez que l’indifférence où vous laissent des combinaisons musicales encore plus compliquées pourrait bien venir de votre incapacité à vous et non d’un défaut à elles. Voyez maintenant ce qui se passe chez un individu n’ayant pas subi la même série de transformations : prenons, si vous voulez, un vieil officier de marine, ayant passé sa vie à la mer loin des concerts et des opéras. Il avoue volontiers qu’il adore les cornemuses. Il serait même plus juste de dire qu’il s’en vante. Les derniers accords d’une sonate résonnent encore à votre oreille : il se lève et va demander à la personne qui est au piano de lui jouer « Polly, mets la bouillotte » ou « Johnny est en marche vers ses foyers. » Parle-t-on concert à table, notre homme profite de l’occasion pour déclarer qu’il déteste la musique classique. C’est à peine s’il cache son mépris pour ceux qui vont en entendre. Examinez l’état mental de cet individu. Vous verrez que l’impuissance à comprendre des combinaisons musicales compliquées est accompagnée d’une inconscience absolue de ce qui lui manque. Il ne se doute pas qu’il existe des combinaisons compliquées et qu’il y a des personnes douées de facultés leur permettant de les apprécier.

Faisons l’application de cette vérité générale à notre sujet. Les conceptions dont la science sociale doit s’occuper surpassent toutes les autres en complexité. Il est impossible de les saisir en l’absence d’une complexité correspondante des facultés. Dans ce cas pourtant comme dans bien d’autres, celui qui est dépourvu de facultés suffisamment complexes n’a aucune conscience de son incapacité. Nous remarquons bien plutôt, chez les personnes manquant