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À priori, il ne semble pas que le défaut de véracité doive coexister ordinairement avec la crédulité. Nous serions plutôt disposés à supposer que par suite de la tendance signalée ci-dessus, les gens sont d’autant plus portés à se défier des allégations des autres, qu’eux-mêmes sont coutumiers de controuver les faits. Cependant, ce qui semble assez anormal, la véracité est ordinairement accompagnée d’une disposition à douter de l’évidence, tandis que l’absence complète de véracité est souvent concomitante avec une grande facilité à tenir pour vraie, sur un témoignage de mince valeur, la chose du monde la plus invraisemblable. Comparez le sauvage à l’homme civilisé, ou les différents degrés de civilisation entre eux vous verrez la fausseté et la crédulité décroître à la fois, jusqu’à ce que vous arriviez à l’homme de science moderne ; celui-là réunit l’exactitude dans ses dires à l’esprit critique dans l’examen des témoignages. Aujourd’hui encore, la relation inverse à celle que nous avons notée chez l’homme de science subsiste d’une manière frappante en Orient, où l’avidité à avaler des fables quelconques est accompagnée de la manie de dire des menteries inutiles. Un Égyptien est tout fier d’un mensonge ingénieux, inventé peut-être pour le plaisir de mentir ; et un teinturier oriental, dont la couleur ne prend pas, attribuera très-bien son insuccès à ce qu’il a échoué dans une de ses tentatives de tromperie. Cela ne les empêche pas d’être tellement crédules que M. St. John nous raconte le fait suivant dans son ouvrage intitulé Deux années de séjour dans une famille du Levant. On lisait à haute voix les Mille et une nuits devant un auditoire d’Orientaux. M. St. John insinua que ce n’était pas des histoires vraies et qu’il ne fallait pas les croire. L’assemblée protesta hautement contre un pareil scepticisme et demanda « Pourquoi un homme s’amuserait à écrire tant de mensonges[1] ? »

Nous faisons remarquer cette réunion dans un même caractère de traits qui sembleraient devoir s’exclure mutuellement, non point à cause de la portée directe du fait, mais à cause de sa portée indirecte. C’est en effet le lieu d’insister

  1. Pages 79 et 127.