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habitué et le bagage de connaissances qu’il avait pu acquérir. Depuis lors, l’idée de s’y prendre autrement ne lui est probablement jamais venue. Si elle lui vient maintenant, il est fort probable qu’il ne réussira pas à se mettre parfaitement au point de vue du sauvage ; peut-être même en est-il complètement incapable. C’est pourtant en voyant les choses avec les yeux du sauvage qu’on peut comprendre ses idées ou sa conduite et s’expliquer les phénomènes sociaux qui en résultent. Ces superstitions, si bizarres à nos yeux, sont parfaitement naturelles : en un certain sens, étant donnés le temps et le lieu où elles se produisent, elles sont même parfaitement rationnelles. Les lois de l’action intellectuelle sont les mêmes pour l’homme civilisé et pour le barbare. La différence gît dans le degré de complexité des facultés et dans la somme des connaissances accumulées et généralisées. Étant données des facultés réflectives aussi peu développées que le sont celles d’un aborigène — étant donné le petit nombre de ses idées, recueillies dans un espace étroit et sans qu’il ait la ressource d’étendre le champ de ses observations dans le temps — enfin, étant donnée sa nature impulsive incapable d’une recherche patiente ; ces histoires qui nous paraissent monstrueuses sont en somme les explications les plus naturelles qu’il puisse imaginer de ce qui l’entoure. Ceci admis, il ne sera pas facile néanmoins d’entrer dans la peau de votre sauvage et de penser à son point de vue, assez clairement pour suivre à travers toutes les relations, sociales ou autres, de la vie, les effets de ses idées sur ses actes.

Une autre difficulté parallèle à la précédente s’oppose à ce que nous comprenions un caractère très-différent du nôtre, de manière à nous rendre compte de ce qu’il donnera en conduite. Rien ne nous fera mieux sentir notre incapacité à cet égard que d’observer l’incapacité converse des autres races quand il s’agit de comprendre notre caractère à nous et les actions qui en sont la résultante.

« Les œuvres d’Allah sont merveilleuses ! Vois ce Franc ! Il pourrait rester tranquillement assis et dès qu’il le peut il se traîne à pied ça et là[1]. »

  1. Burton, Seinde, vol. II, page 13.