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semaines, résolut d’écrire un livre sur ce pays. Au bout de trois mois il reconnut qu’il n’était pas tout-à-fait prêt ; au bout de trois ans il s’aperçut qu’il ne savait pas le premier mot de son sujet. Si l’anecdote n’est pas vraie, elle est bien trouvée. Toute personne qui comparera ses premières impressions sur l’état des choses dans sa société, avec ses impressions actuelles, verra combien étaient fausses des idées jadis fort arrêtées, combien il est probable que ses idées actuelles, malgré leur révision, ne sont encore justes que partiellement. En se rappelant à quel point il avait fait fausse route dans ses opinions préconçues sur les habitants et la vie d’une région où il n’était jamais allé, et à quel point les caractères distinctifs de certaines classes ou de certaines églises qu’il n’avait pas eu auparavant l’occasion de connaître, s’étaient trouvés à l’épreuve différents de ce qu’il s’était imaginé, il sentira combien cette grande diffusion des faits sociaux est un obstacle à leur juste appréciation.

Il y a encore les illusions provenant de ce que nous appellerons la perspective morale. Généralement nous ne corrigeons pas par la pensée les illusions produites par ce genre de perspective, comme nous corrigeons celles qui proviennent de la perspective physique. Un petit objet rapproché occupe plus de place dans le champ visuel qu’une montagne très-éloignée, mais des expériences bien organisées nous ont mis en état de rectifier instantanément la fausse induction que faisaient naître les apparences visuelles. Cette rectification instantanée de la perspective n’a pas lieu quand on observe des faits sociaux. L’incident puéril survenu chez le voisin produisant plus d’impression que le grand événement qui se passe dans un pays étranger, on s’en exagère l’importance. Renverser des conclusions prématurées, tirées de l’expérience journalière des faits sociaux qui se passent sous nos yeux, en prouvant clairement qu’ailleurs une expérience basée sur des faits plus importants autorise la conclusion contraire, cela n’est point chose aisée.

Nous arrivons ainsi à une autre grande difficulté. C’est seulement au moyen de comparaisons que nous pouvons parvenir à déterminer pour les phénomènes sociaux les relations de cause à effet. Or il est rare que le point de départ de