Page:Souvestre - Un philosophe sous les toits, 1854.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

distraire ; mais la portière a oublié mon lait du matin, et le pot de confiture est vide ! Un autre serait contrarié ; moi j’affecte la plus superbe indifférence. Il reste un croûton durci que je brise à force de poignets, et que je grignote nonchalamment comme un homme bien au-dessus des vanités du monde et des pains mollets.

Cependant, je ne sais pourquoi mes idées s’assombrissent en raison des difficultés de la mastication. J’ai lu autrefois l’histoire d’un Anglais qui s’était pendu parce qu’on lui avait servi du thé sans sucre. Il y a des heures dans la vie où la contrariété la plus futile prend les proportions d’une catastrophe. Notre humeur ressemble aux lunettes de spectacle qui, selon le bout, montrent les objets moindres ou agrandis.

Habituellement, la perspective qui s’ouvre devant ma fenêtre me ravit. C’est un chevauchement de toits dont les cimes s’entrelacent, se croisent, se superposent, et sur lesquels de hautes cheminées dressent leurs pitons. Hier encore je leur trouvais un aspect alpestre, et j’attendais la première neige pour y voir des glaciers ; aujourd’hui je n’aperçois