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main, lui demanda si elle la menait à quelque parent.

— Hélas ! faites excuse, répliqua Bertaude, qui essuyait ses yeux avec le coin de son tablier ; la pauvre innocente n’a dans le pays aucune famille pour la recevoir.

— Que ne la conduisez-vous alors à l’hospice de Bayeux ? reprit le nouvel anobli.

— À l’hospice ! répéta Bertaude saisie.

— On n’y reçoit pas seulement les bâtards, objecta l’ancien marchand, mais aussi les enfants abandonnés.

— Par mon Sauveur ! celle-ci ne l’est pas, monsieur, dit la vieille en caressant Yvonnette, qui se serrait contre elle tout effrayée ; tant que je ne serai pas sous la terre du cimetière il lui restera quelqu’un.

— Vous est-elle donc quelque chose ? demanda le bourgeois ironiquement.

— Elle est la fille de mon maître ! répliqua Bertaude avec énergie. J’ai mangé vingt ans le pain de sa famille, je l’ai reçue dans mes mains quand elle est née, je l’ai portée à l’église pour son baptême, je lui ai appris à marcher et à prononcer son premier mot ; si ce n’est pas l’enfant de mon sang, c’est l’enfant de mes soins. Ah ! Jésus ! à l’hospice ! n’aie pas peur, va, Yvette, tant que la Bertaude pourra remuer un seul de ses dix doigts, ton hospice sera dans son giron.

Elle avait soulevé l’enfant, qui l’enveloppa de ses bras, en appuyant la tête sur son épaule, et elle prit avec elle la route de Falaise.

Bertaude avait son plan, dont elle n’avait rien dit à personne.

Elle connaissait aux Ursulines une sœur, qui, avant d’être une sainte choisie par Dieu, avait été une femme aimée des hommes : elle lui porta Yvonnette, avec une