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— Fouettez ! fouettez ! reprenaient les voix.

— C’est une rosse ! faisait observer le paysan.

— Un paresseux ! ajoutait la mère.

— Un lâche ! achevait le soldat.

Le cocher branlait la tête.

— Non, non, disait-il. Noiraud n’est pas une rosse, car il a supporté plus de misères que les plus forts, et voilà vingt ans qu’il les supporte.

— Vingt ans ! répétait le paysan stupéfait.

— Peut-être davantage, reprenait le cocher, et ce n’est point un paresseux, celui qui a nourri si longtemps, de son travail, l’homme, la femme et les deux enfants.

— Tant que cela ! s’écriait la mère ; oh ! le brave cheval.

— Sans compter qu’il a fait ses preuves de courage, continuait le cocher ; voyez plutôt les deux cicatrices qui sont au poitrail.

— Ah ! il a servi ? interrompait le vieux soldat, d’un accent radouci.

Et tous les yeux s’étaient arrêtés sur Noiraud, avec un intérêt curieux : personne ne disait plus de le fouetter ! Le paysan calculait ce que pouvait valoir son travail de vingt années, la mère pensait aux deux enfants que ce travail avait nourris, le vieux soldat regardait les cicatrices ! Tous trois avaient perdu leur impatience ; rien ne les pressait plus ; ils pouvaient attendre ; Noiraud n’avait qu’à prendre son temps.

Aussi, quand la route était devenue facile, la mère avait voulu faire marcher ses enfants ; le vieux soldat avait déclaré qu’il ne pourrait demeurer plus longtemps assis sans souffrir de ses blessures, et, tous deux descendus, le cocher s’était mis à encourager Noiraud de la voix.