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ce qu’ils s’amusent de vous, et qui jettent de la boue à tous ceux qui passent sans craindre les représailles, parce que sur eux la boue ne tache pas. Quelque supérieure que fût sa position dans la presse, Prétorien redoutait le petit journal comme le lion redoute le bourdonnement et la piqûre du moucheron ; quant à Blaquefort, il savait au juste ce que les attaques du Maringouin pouvaient lui enlever d’acheteurs ; aussi prit-il, tout à coup, cette physionomie ouverte des gens d’affaire au moment où ils veulent vous tendre un piège, et passant une main sous le bras de l’académicien qui allait se retirer :

— Nous ne nous séparerons pas ainsi, s’écria-t-il ; non, pardieu ! il ne sera pas dit que les Français du dix-neuvième siècle m’auront brouillé avec le plus illustre écrivain de la république des Intérêts-Unis.

M. Atout voulut protester.

— Avec celui dont la brillante imagination a reculé le domaine de la poésie !…

M. Atout protesta plus fort.

— Avec le génie facile et universel qui nous a assuré la supériorité dans tous les genres.

M. Atout se confondit en protestations.

— Avec le plus grand homme, enfin, de notre époque.

M. Atout serra la main de Blaguefort en affirmant qu’il allait se fâcher.

Celui-ci, qui avait épuisé ses formules d’éloges, parut céder avec peine ; mais, fort de son exorde par insinuation, il commença à effrayer l’académicien sur les suites de la publication annoncée : c’était se faire des ennemis, s’exposer à des représailles, nuire à la considération de cette Académie dont il était le protecteur et la gloire !