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à la fiction ; la troisième, celle des correspondances entretenues au moyen de télégraphes électriques ; enfin, les dernières salles étaient consacrées à la fabrication des feuilletons.

Cette fabrication était exploitée, depuis quelques années, par le fameux César Robinet, qui avait traité à forfait pour tous les romans à publier dans le Grand Pan et dans les autres journaux de la république. Plusieurs machines de son invention confectionnaient des feuilletons de tout genre, à raison de cent lignes à l’heure.

Il y avait d’abord la machine historique, dans laquelle on jetait des chroniques, des biographies, des mémoires, et d’où sortaient des romans dans le genre de ceux de Walter Scott ;

La machine à variétés, que l’on bourrait d’anas, de légendes, d’almanachs anecdotiques, et qui produisait des voyages comme celui de Sterne ;

La machine des fantaisies, qui recevait les anciens poëtes, les vieux romans, les drames oubliés, et dont on obtenait des nouvelles comparables à celles de Bernardin de Saint-Pierre et de l’abbé Prévost ;

Enfin la machine des résidus, où l’on jetait à brassée les rognures que l’on n’avait pu utiliser ailleurs, et qui produisait du Perrault et du Berquin de seconde qualité.

César Robinet ne lisait point ses livres, mais il les signait tous, ce qui le condamnait à quatorze heures de travail forcé par jour. À l’arrivée de Blaguefort, il paraphait le cent trente-troisième volume des aventures du colonel Crakman, récit charmant, dans lequel il avait réussi à faire entrer tous les mémoires imprimés sur le grand Frédéric et sur sa cour.