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que chacun dévide et tisse à sa manière ; le fil est bien toujours le même, mais l’étoffe et le dessin se modifient selon l’ouvrier.

— Auriez-vous donc remarqué des erreurs dans le Mémoire du bibliophile ? demanda M. Atout, qui venait d’entrer.

— Hélas ! répliqua Maurice, en souriant, il vous a fait connaître la France en l’an trois mille comme nous connaissions l’ancienne Grèce en 1845. Son œuvre ressemble à ces monstres dont chaque membre a été emprunté à un animal réel, mais dont l’ensemble ne peut être qu’un rêve ; tout est vrai, sauf le monstre.

— Et vous pourriez signaler les principales fautes ?

— Si j’avais l’analyse du Mémoire…..

— Vous l’aurez, interrompit vivement l’académicien, qui baissa la voix, nous le trouverons au bureau du journal. Venez vite. Quelque pénible qu’il soit de relever les erreurs d’un collègue, on doit tout sacrifier à l’intérêt de la vérité… Il faudra rédiger une réplique accablante, avec quelques allusions bien aiguisées. Je vous fournirai les pointes d’autant plus sûrement que le bibliophile est mon ami. Je connais les jointures et je sais où il faut frapper.

Ils se dirigèrent vers la grande agence littéraire, qui occupait une rue entière et était exploitée par une société de capitalistes, exerçant à Sans-Pair le monopole de la publicité.

Ils avaient réuni pour cela les journaux des différentes opinions en un seul journal appelé le Grand Pan, qui les soutenait alternativement toutes. Le Grand Pan ne paraissait ni à certain jour, ni à certaine heure ; imprimé sur un papier sans fin, il paraissait toujours !

Un bataillon de journalistes attachés à l’établissement en-