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« Nous ne pousserons pas plus loin, messieurs, cette démonstration, qui devra paraître sans réplique à tous les gens de bonne foi ; mais nous ne pouvons terminer sans parler du curieux langage en usage parmi les Français de l’époque dont nous nous occupons.

« Tout y était devenu nuances et analyse. Voulait-on faire le portrait d’une brune quelque peu barbue ; on disait qu’un duvet follet se montrait le long de ses joues, dans les méplats du cou, en y retenant la lumière, qui s’y faisait soyeuse[1] ; parlait-on de la fraîcheur de ses lèvres, on vantait leur minium vivant et penseur[2], voulait-on faire remarquer ses oreilles petites et bien faites, on les déclarait des oreilles d’esclave et de mère[3] ; entin, si l’on parlait, dans la conversation, d’un voyage en Espagne, il fallait dire : J’ai vu Madrid avec ses balcons de fer ; Barcelone qui étend ses deux bras à la mer comme un nageur qui s’élance ; Cadix qui semble un vaisseau près de mettre à la voile, et que la terre retient par un ruban ; puis, au milieu de l’Espagne, comme un bouquet sur le sein d’une femme, Séville l’andalouse, la favorite du soleil.

« Ce langage prouve combien est peu fondée l’opinion de ceux qui croient la langue française la plus claire, la plus sobre et la plus nette de toutes les langues de l’Europe.

« Je dirai donc, messieurs, pour me résumer, que le dix-neuvième siècle fut, en France, une époque de demi-barbarie, où les esprits subtils, mais ignorants, tenaces et sanguinaires, s’abandonnèrent à tous les excès d’une vi-

  1. H. de Balzac.
  2. Idem.
  3. Dumas.