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soulever les fardeaux, leurs engrenages saisir les objets comme des doigts gigantesques, leurs mille roues tourner, courir, se croiser ! À regarder la précision de chacun de ces mouvements, à entendre ces murmures haletants de la vapeur et de la flamme, on eût dit que l’art infernal d’un magicien avait soufflé une âme dans ces squelettes d’acier. Ils ne ressemblaient plus à des assemblages de matière ; mais à je ne sais quels monstres aveugles, travaillant avec de sourds rugissements. De loin en loin, quelques hommes noircis apparaissaient au milieu des tourbillons de fumée ; c’étaient les cornacs de ces mammouths de cuivre et d’acier, les valets chargés d’apporter leur nourriture d’eau et de feu, d’étancher la sueur de leur corps, de le frotter d’huile, comme autrefois celui des athlètes, de diriger leurs forces brutales, au risque de périr, tôt ou tard, broyés sous un de leurs efforts, ou dévorés par la flamme de leur haleine !

Maurice suivait d’un regard attristé ces victimes de la mécanique perfectionnée. Il comparait, instinctivement, ces merveilleuses machines dont il voyait les membres polis, luisants, bien nourris à ces hommes flétris et hagards, qui s’agitaient à l’entour. En entendant le concert terrible de vapeur sifflante, de fer froissé contre le fer, de grondements de flammes, de bouillonnements d’onde, de vents attisant la fournaise comme un orage, il se sentait saisi d’une sorte de terreur. Il cherchait en vain la vie au milieu de cette tempête de la matière en travail ; il en entendait bien le bruit, il en voyait bien le mouvement, mais tout cela était comme une imitation artificielle ; cette activité n’avait point d’élans contagieux. Loin qu’elle excitât, vous vous sentiez devant elle saisi de torpeur. Le mouvement uniforme de ces