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« Enfin, le jour des élections arriva. Le quartier des droguistes s’était toujours distingué par le choix de ses députés à l’assemblée nationale. Il y avait successivement envoyé le géant Pelion, qui s’était un jour retiré en emportant la tribune sur ses épaules ; le mime Perruchot, habile à prendre toutes les voix et à imiter toutes les physionomies ; enfin le prestidigitateur Souplet, qui faisait les majorités en escamotant, dans l’urne, les boules du scrutin. Pour succéder à de tels hommes, il fallait un candidat non moins extraordinaire ; l’honneur de l’arrondissement électoral y était intéressé. Quelqu’un prononça mon nom, on le couvrit aussitôt d’applaudissements, et je fus nommé représentant des droguistes à l’assemblée nationale des Intérêts-Unis.

« Ce ne furent pas, du reste, mes seuls succès ; j’en obtenais ailleurs, de moins bruyants peut-être, mais de plus aimables. La curiosité des femmes ne s’était point ralentie. Après avoir vu comment je savais écrire, les plus aventureuses voulurent savoir comment je saurais aimer. Le monstre est aussi rare que l’Antinoüs, et l’expérience valait la peine d’être tentée. J’en sortis probablement sans trop de désavantages, car ma réputation ne fit que s’accroître.

« Cependant ces conquêtes faciles ne pouvaient me faire oublier ma cousine Blondinette. C’était la seule femme qui m’eut repoussé, honni, et, par conséquent, la seule dont le souvenir me fut précieux ; car il y a toujours une part de contradiction dans l’amour.

« Elle-même regrettait une rupture imprudente. J’avais désormais trop d’avantage sur Mirmidon pour le regarder comme un rival sérieux. Je me présentai hardiment, on me reçut avec émotion, et, au bout de quelques jours,