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1931 — En fait de modes idiotes, que penser de celle qui supprime les boutonnières et les boutons des manteaux, qui fait porter les fourrures de cou en bandoulière, de façon à préserver les rhumatismes pour une seule épaule ; qui supprime les poignées des sacs à main, de sorte que les deux mains soient mobilisées, l’une pour tenir le manteau fermé, l’autre pour empoigner le sac. Défense d’avoir un parapluie, un paquet, un enfant. Une femme chic ne s’embarrasse pas de ces inutilités-là. J’en ai vu une ces jours-ci. Quand je l’ai aperçue avec mes mauvais yeux, j’ai été saisie d’un frisson d’épouvante. Il m’a semblé que je voyais s’avancer vers moi un être en carton. Quand on n’a pas l’habitude, cela fait un drôle d’effet. Le marron des joues, le rouge des lèvres, on voit ça couramment ; ajoutez les yeux peints, les sourcils marqués par un trait mince, cela dessine une tête de poupée moderne. Le visage n’a plus de physionomie, la femme n’a qu’une personnalité d’emprunt, tout en artifice. J’imagine que toutes les sectatrices de cette religion-là se ressemblent, sont coulées dans le même moule. Ce serait comique si ce n’était triste. Malheureusement on s’habitue aux laideurs, on n’y prête plus d’attention. En somme, les négresses à plateau ne sont pas beaucoup plus… (j’esquive l’épithète) que nos belles dames.

Ah ! je ris de me voir si belle en ce miroir… (bis). Il y a de quoi.


Les femmes de la bourgeoisie riche d’aujourd’hui, — à quelques rares exceptions près — ne restent pas chez elle. Elles pourraient s’occuper de leur intérieur, de leurs enfants, faire des travaux manuels, travailler pour les pauvres, les visiter (celles qui n’ont pas d’enfants), lire, s’instruire… S’occuper des enfants, cela va bien pendant une heure ou deux de temps en temps. Mais grand Dieu, que c’est fatigant !… Que font-elles, la plupart ? Elles essayent de s’amuser, de se distraire ; elles s’habillent surtout ; c’est la grande affaire. Cela prend beaucoup de temps. Et quand on est belle, c’est pour se faire admirer. Pour se faire admirer, il faut se faire voir. Pour se faire voir il faut aller un peu partout. Il y a les emplettes quotidiennes. Il serait économique et pratique de prendre note, jour par jour, des besoins et de consacrer un jour de loin en loin à l’obligation de s’approvisionner… Mais à quoi emploierait-on le reste du temps ? Alors on distrait son désœuvrement. L’auto promène Madame de magasins en magasins, de thés en cinémas, etc… Cent francs par jour (ce que coûte l’auto) pour gaspiller la chose la plus précieuse, le temps qu’on ne retrouve jamais quand il est perdu ! Cent francs d’auto pour une paire de gants ou un bout de ruban ! Oui, mais on s’est promenée, on a su quoi faire, on a tué le temps en attendant la réciproque… comme a dit quelqu’un.

Faut-il donc en arriver à l’état de vieille grand-mère pour commencer à comprendre, à voir clair, à faire pénitence ! En considérant