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Malade et infirmière (histoire vraie)

L’infirmière, cette fois, soigne une maladie bénigne qui ne lui coûtera que peu de fatigue. Confortablement installée au chevet de la malade, dans un fauteuil rembourré à souhait, elle croise les mains et soupire :

— Non Madame, je n’étais pas faite pour le métier que je fais ; mes parents étaient fortunés ; ils m’ont donné une éducation soignée. Telle que vous me voyez, je suis baronne ; baronne de… X. Mais n’importe, je vous soignerai tout de même ; il faut bien — Nouveau soupir — Mais d’abord, voulez-vous sonner la femme de chambre… Dites-donc ma fille, faites bouillir de l’eau ; j’en ai « de » besoin pour Madame… Ces filles, elles ne sont bonnes à rien ; si on ne leur donnait pas des instructions… Autre soupir. — Oui, c’est triste… pas tant pour vous qui avez les moyens de vous faire soigner… Quand je pense à tant de femmes qui peuvent se promener, aller au cinéma et dans les magasins, tandis que moi je suis là ! Enfin, c’est la destinée… Ah ! voici mon eau. Elle est « bouillue » bien sûr ? C’est que je ne me fie à personne. Elle est bien bouillue ? Allons, tant mieux… Mon Dieu oui, j’ai soigné des blessés pendant la guerre. C’était dur, mais on s’amusait tout de même. Et puis, ils avaient des égards pour moi à l’hôpital. Pourtant, on a voulu me faire soigner un vieux colonel qui avait les deux bras dans le plâtre. Vous comprenez bien que j’ai refusé ; ça n’était pas convenable. Du reste, j’ai vite changé d’hôpital. Oui, mais, avant de partir, je me suis « faite » faire un certificat…


Une manifestation

C’était, je crois, en 1902. Mlle Gleyre et Mlle Pape, directrices du cours de ma fille, me disent : « Une grande manifestation, composée d’environ trois mille femmes, aura lieu demain matin à 9 heures devant le Palais de Justice en faveur des sœurs… qui viendront comparaître pour infraction à la loi sur les associations. Voulez-vous en être ? » — Mais certainement, répondis-je tandis que Mlle D., l’institutrice de mes enfants, personne méridionale et ardente, s’offrait bravement à militer à mes côtés.

Donc, le lendemain, nous voici arpentant le Pont Neuf, scrutant l’horizon, pendant voir déboucher en tous sens les nombreuses manifestantes annoncées ; sans doute nous devions être en avance, car aucune des voies aboutissant au lieu de rendez-vous ne traduisait l’ombre d’agitation insolite. Arrivées au but, nous apercevons une douzaine de braves dames essayant de se donner des attitudes farouches,