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HISTOIRE DU PARNASSE


Tu leur prodiguais tes odes nouvelles
Embaumant l’avril et couleur du ciel.
Eux, ils répétaient : Ces fleurs sont trop belles,
Tout cela doit être artificiel…

L’artiste grandit, la critique tombe.
Mais nous, tes fervents, ô maître vainqueur,
Nous voulons écrire au mur de ta tombe
Que ton clair génie eut aussi du cœur[1].


L’envoi de Baudelaire est très supérieur à celui de Théo. Ses seize « nouvelles Fleurs du Mal » relèvent vivement la couleur du Parnasse[2]. Elles lui assurent un succès de grand public. Mais c’est Leconte de Lisle qui domine tout ; on le reconnaîtra en relisant Le Rêve du Jaguar, La Vérandah, Les Spectres, Les Larmes de l’Ours, Le Cœur de Hialmar, Ekhidna, La dernière Vision, qu’il a reproduites dans ses Poèmes, sans une seule variante[3]. La tristesse du Diable et La Prière védique pour les morts présentent en tout trois corrections insignifiantes, tant Leconte de Lisle avait su, dès sa première ébauche, atteindre la perfection[4]. On voit par là ce que vaut le bruit touchant, et ridicule, rapporté par Mme Adam : les grands Parnassiens auraient, dans cette première édition, publié exprès de méchants vers pour faire mieux ressortir le mérite de leurs cadets[5].

Ceux-ci ont dû être furieux de cette histoire, surtout Henri Cazalis qui ne signe pas encore Jean Lahor, mais qui a déjà conscience de sa valeur. Si, plus d’une fois, ce très authentique parnassien a renié le Parnasse, c’est qu’il ne s’y trouve pas apprécié à sa juste valeur : il la croit, à bon droit, de tout premier ordre[6]. Jules Tellier voit en lui un des plus grands poètes de notre temps, aux visions merveilleuses, poussant, dans son extase et dans sa terreur, des cris sublimes. Il conclut ainsi : il y a dans ses poésies un véritable génie insoupçonné de ses contemporains[7]. Ce n’est pas, en effet, l’opinion courante au Parnasse. Dans sa Légende, Catulle

  1. Poésies, 1869-1874, p. 211.
  2. Ce sont : Épigraphe pour un Livre condamné, L’Examen de minuit, Madrigal triste, À une Malabaraise, L’Avertisseur, Hymne, La Voix, La Rebelle, Le Jet d’eau, Les Yeux de Berthe, La Rançon, Bien loin d’ici, Recueillement, Le Gouffre, Les Plaintes d’un Icare, Le Couvercle.
  3. Poèmes Barbares, p. 215, 133, 240, 79, 77, 42, 246.
  4. Poèmes Barbares, p. 283 ; Poèmes Antiques, p. 4.
  5. Mes Sentiments, p. 105.
  6. Rocheblave, préface aux Œuvres Choisies de Jean Lahor, p. xviii-xx et xxxi.
  7. Nos Poètes, p. 125-132.