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232 ÉTUDES SUR LA LITTÉRATURE SANSCRITE.

d'Aja n'est plus qu'un songe; je fuis toutes les autres joies: pour moi, tu les résumais toutes, et tu n'es plus ! »

A ces regrets, où un sentiment pathétique s'unit à un style parfois trop fleuri, opposons les paroles que vient adresser au prince affligé un pieux disciple du pontife Yasishtha; ces graves maximes, conformes à l'antique doctrine des Brahmes, font avec les plaintes efféminées d'Aja un contraste plein de noblesse :

« Cesse de songer au départ d'Indùmati; quiconque est né est sûr de mourir. Reporte tes regards sur la terre ; voilà la vraie com- pagne des rois. Tu avais eu la sagesse d'éviter constamment dans le bonheur le scandale de l'orgueil; maintenant encore, au milieu de la douleur qui consume ton âme, aie la force de tout supporter. Penses-tu pouvoir par des pleurs reconquérir celle que tu n'obtiendrais même pas situ te contentais de mourir après elle? Apaise tes chagrins: réjouis ton épouse par des dons et des sacri- fices; car les larmes prolongées importunent, dit-on, les morts. En effet, la mort est la condition naturelle des êtres : d'après les sages, la vie n'est pour nous qu'une transformation; aussi, quand on vi- vrait, quand on respirerait seulement une minute, on y gagnerail encore. L'homme pusillanime regarde le trépas de son ami comme une épine enfoncée dans le cœur; mais l'homme magnanime pense que la mort conduit au salut. Puisque les Védas nous apprennent que le corps et l'âme se séparent, dis-moi, je te prie, comment le sage pourrait-il s'affliger d'être séparé de ce qui est en dehors de lui? le meilleur des souverains, ne va pas comme un insensé, tomber sous le joug du désespoir : quelle différence y aurait-il en- tre les monts et les arbres, si lèvent qui souffle ébranlait les uns autant que les autres? »

Ces consolations, pourtant si religieuses et si raisonnables, laissent Aja inconsolable et désespéré. Toutefois il se ré- signe enfin à attendre ; il attend vingt années, jusqu'à ce que son fils ait revêtu la cuirasse royale et reçu les hommages des citoyens : mais alors il se laisse mourir de faim et, cou- rant retrouver là-haut sa compagne adorée, plus belle encore que sous sa première forme, il jouit de nouveau de son amour dans les palais délicieux du ciel ; cette fois, c'est pour toujours.

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