Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/232

Cette page n’a pas encore été corrigée

224 ÉTUDES SUR LA LITTÉRATURE SANSCRITE.

des pères, le dieu des dieux... l'auteur et l'objet de la science, le contemplateur et le but de la contemplation ! »

Ainsi s'humilient les dieux devant Brâhma, et ils lui deman- dent un vengeur ; il leur en promet un qui naîtra de Siva et d'Uma. Mais pour cela il faut que Siva se laisse captiver par lima. En conséquence de cet ordre divin, Kàma, dieu de l'amour, se met en route, accompagné de Rati (la Volupté), sa fidèle épouse, et de son meilleur ami, Vasanta (le Prin- temps). Grâce à lui, la forêt habitée par Siva devient une forêt enchantée : fleurs, insectes, oiseaux, tout s'épanouit, tout sourit, tout chante ; Siva seul reste longtemps impas- sible et continue à pratiquer les plus dures austérités des ascètes hindous. Mais les artifices de Kàma et les charmes d'Uma ont fini par le troubler; alors, furieux de sa défaite, d'un de ses trois yeux il lance des tourbillons de flamme qui consument le dieu de l'amour. Ce singulier mythe de la combustion de Kâma était très-populaire; il amène de tou- chants développements sur la douleur de Rati. Un caractère saillant de la poésie sanscrite et qui la distingue de beaucoup d'autres, c'est (on le sait) que le sentiment y est profond et passionné, mais presque toujours naturel et moral. La ten- dresse y est retracée avec ardeur ou avec finesse ; mais il s'agit de celle d'une mère ou d'un fils, d'une sœur ou d'un frère, d'une épouse ou d'un époux. Les^plaintes de Rati sur le cadavre de Kâma sont vraies et pathétiques; le poète y prodigue bien un peu les interrogations et les antithèses; mais il y répand aussi une sensibilité douce et pure :

Frappée par le désespoir, flétrissant son sein en se roulant dans la poussière, les cheveux épars, Rati se lamentait et faisait parta- ger sa douleur à toute la campagne d'alentour : « Ton corps, disait- elle à Kàma, ton corps, dont la beauté éveillait le désir, est réduit à un tel état, et je ne meurs point ! Les femmes sont donc bien dures ! Pourquoi fuir et me délaisser, moi dont l'existence dépend de la tienne?... Jamais tu ne m'as causé de peine; jamais je ne t'avais affligé ; pourquoi t'arracher sans aucun motif aux bras de la

�� �