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176 ÉTUDES SUR LA LITTÉRATURE SANSCRITE.

oppose, Silâ le suivra, Sîtà qui acceptera avec lui la proscrip- tion et la fuite, après avoir rêvé à ses côtés la puissance et la gloire :

« J'irai, lui dit-elle, partout où tu iras. Séparée de toi, je ne vou- drais pas habiter le ciel même, noble descendant de Raghou ; je te le jure, par ton amour, par ta vie ! Tu es mon seigneur, mon maî- tre, mon guide, ma divinité ; j'irai avec toi; c'est là ma résolution suprême. Puisque tu es si pressé d'entrer dans ces forêts touffues et impraticables, j'y marcherai la première, brisant sous mes pieds, afin de t'y frayer un passage, les hautes herbes et les ronces épi- neuses. Pour une femme de bien, ce n'est ni un père, ni un fils, ni une mère, ni un ami, ni son propre cœur qui font loi; c'est son époux. Ne m'envie pas cette félicité; chasse cette pensée mauvaise, de même qu'on rejette les dernières gouttes de la coupe que l'on a vidée : cher prince, emmène-moi sans défiance ; tu es sûr de ma fidélité.... Accorde-moi cette faveur: que j'aille, en ta compagnie, vivre au sein de ces bois, que fréquentent seulement les sangliers et les lions, les ours et les tigres... Je m'y nourrirai, ainsi que toi, de fruits et de racines; je ne serai nullement pour toi un fardeau incommode. Quelle sera ma joie d'habiter aussi ces forêts ombra- gées, délicieuses, embaumées par les senteurs les plus diverses ! Là, plusieurs milliers d'années, écoulées près de toi, me semble- raient n'avoir duré qu'un jour. Le paradis sans toi me serait un séjour odieux; l'enfer, si nous le partagions ensemble, vaudrait pour moi le ciel. »

Telle sera éternellement la langue de l'amour vrai ; Shakes- peare et Racine, Gœthe ou Schiller n'ont pu innover à cet égard: mais ce qu'il nous faut noter avec soin dans la poésie sanscrite, au moins dans la poésie épique des périodes primitives, c'est que cet amour y est constamment honnête et pur ; on n'y rencontre jamais cette passion déréglée et malsaine qui cons- titue trop souvent le fond de nos littératures modernes. En vain Ràma énumère à la jeune princesse tous les obstacles qui l'attendent, tous les périls qui la menaceront : animaux féroces, reptiles venimeux, intempéries des saisons, froid et chaleur extrêmes, faim et soif prolongées ; elle connaît tout d'avance, et d'avance elle brave tout. Lakshmana n'est pas

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