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privilège que nul avant lui n’avait obtenu, monte sur un char lumineux et s’élance vers la demeure des immortels, où il est impatient de retrouver ses frères et son épouse ; il est de ceux pour lesquels le bonheur ne saurait exister sans l’amour et sans la vertu.

C’est une apothéose, qui naturellement devait compléter cette interminable féerie épique, où les hommes et les dieux sont, à chaque instant, mêlés et confondus ; tel est, en effet, le caractère du dix-huitième et dernier livre, le Swargârô- hana-Purva (ou ascension au ciel), si curieux à comparer aux peintures analogues d’Homère et de Virgile, de Dante et de Milton, de Fénelon et de Chateaubriand. Youdhichthira, arrivé à la demeure de béatitude, n’y trouve ni ses frères chéris ni sa noble femme ; et, en revanche, il y rencontre ses cousins détestés, ceux qu’il a vaincus, Douryôdhana et les autres fils de Dhritarâchtra. Habiter même le ciel en compagnie de ses ennemis et loin de ceux qu’il adore ! ce prince magnanime ne peut s’y résigner ; il demande par grâce à descendre aux enfers si les siens y sont plongés. Les dieux y consentent et, pour l’y conduire, ils lui donnent un messager, semblable à l’Hermès psychopompe des Grecs. Le sixième livre de l'Énéide et la Divine comédie ne nous présentent pas un tableau plus énergique et plus élevé :

Youdhichthira, du fond de l’empirée, suivait à pas rapides le messager céleste ; quelle descente sinistre ! quel effrayant voyage ! C’était la retraite des âmes coupables, enveloppée de sombres ténèbres, couverte d’une végétation impure, exhalant l’odeur pestilentielle du péché, de la chair et du sang. C’étaient des lieux remplis de milliers de cadavres, parsemés d’ossements et de chevelures, infectés de vers et d’insectes, d’où jaillissent des flammes dévorantes, où planent des corbeaux, des vautours et d’autres monstres ailés qui s’abattent sur des montagnes de corps mutilés et privés de pieds et de mains. Au milieu de ces cadavres et de cette odeur fétide, le roi marchait, les cheveux hérissés de frayeur et l’àme désolée. Devant lui, un fleuve infranchissable roulait ses ondes ardentes, et une forêt de glaives agitait ses bran-