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186 ÉTUDES SUR LA LITTÉRATURE SANSCRITE.

conseillers perfides qui les ont égarés tous deux. Le sage Vidoura lui prodigue à son tour ces maximes générales et ces axiomes sentencieux qui échouent devant des douleurs si profondes, mais qui n'en ont pas moins leur sagesse et leur grandeur. Leur entretien se prolonge longtemps, et devient comme un complément du Bhâgâvad-Gîtâ; il roule sur la fragilité des biens terrestres, la jeunesse, la beauté, la ri- chesse, la santé, l'amitié, la vie même, sur les fruits que portent naturellement toutes nos actions bonnes ou mauvai- ses, sur notre laborieuse naissance, sur la délivrance finale de nos misères, sur l'accomplissement de nos devoirs et l'im- mortalité de nos âmes. Des allégories plus ou moins confuses ornent ces développements métaphysiques, où se complaisait la gravité indienne, et qui par moments font songer à l'amer- tume d'un Lucrèce, à la mélancolie d'un Pascal.

En dépit de ces discours si sensés et si sérieux, mais qui ont le tort de se répéter (évidemment par le fait d'interpola- tions successives), le roi, accablé sous le fardeau de ses af- flictions, tombe sans connaissance, et on a bien de la peine à le rappeler à la vie ; en y revenant, il revient aussi à la conscience de son malheur. C'est un Priam qui pleure sur cent Hectors : seulement il n'a pas besoin d'aller en suppliant racheter leur corps des mains d'un Achille ; car ils gisent dans la plaine voisine, attendant les derniers honneurs. Le signal des lamentations est donné: Gàndhàrî, épouse de Dhri- tarâchtra, Kountî, mère des Pàndavas, toutes les mères, les épouses, les sœurs et les filles sortent de leurs demeures, montent sur des chars, courent au champ de bataille, et, sans parure, les cheveux épars, elles unissent leurs clameurs et leurs sanglots; elles crient comme des femelles d'orfraies ou d'aigles; artisans, marchands, laboureurs, le peuple en- tier les accompagne. Jamais les psalmodies hébraïques, les élégies grecques, les nénies latines ne sont allées si loin sur ce mode plaintif et lugubre. Craignant les représailles des fils de Pàndou, Kripa, Kritavarman et Açwatthâman se sépa-

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