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qui autrement serait trop formidable. Elle tient sa promesse, et les immortels eux-mêmes viennent assister à cet admirable spectacle :

Elle se précipita donc en bas, Gangâ, la fille de l’Himalaya, roulant en larges et fiers tourbillons, toute pleine de poissons et de monstres aquatiques, et le grand dieu Siva soutenait en l’air cette nymphe qui embrasse les cieux et qui tombe de son front, comme un collier de perles dont le fil se brise. Dans sa course immense vers l’Océan, elle se partagea en trois branches ; ses eaux étaient couvertes de flocons d’écume, plus blancs qu’une troupe de cygnes ; tantôt se retenant avec effort, tantôt paraissant bondir rapidement, ivre de plaisir et de joie, elle s’élançait, et parfois ses vagues retentissaient d’un bruit mystérieux. Telles étaient les diverses formes qu’elle recevait ; dès qu’elle eut touché le sol ravi de la recevoir, elle dit à Baguîratha : « Grand prince, fais-moi voir le chemin que je dois suivre, car c’est pour toi seul, maître de l’univers, que je suis descendue du ciel. »

Bhaguîratha la guida pieusement vers l’endroit où gisaient les restes des fils de Sagara ; elle les arrosa et les sanctifia à jamais ; puis elle courut au lit de l’Océan desséché par Agastya, et elle le remplit de nouveau : telle est la divine origine du Gange.

Lômaça narre encore à son patient auditeur Youdhichthirâ l’apologue remarquable du Pigeon et du Faucon, dont le germe se trouvait dans le Rig-Véda, mais qui est plus développé dans le Mahâbhârata où il est intercalé deux fois, au troisième livre et au treizième. Le roi Sivi, qui en est le héros, appartenait probablement à une tribu de ce nom, dont parlent les historiens à propos des conquêtes d’Alexandre dans l’Inde. Un jour, Indra et Agni (les dieux de l’air et du feu), usant d’un artifice, renouvelé chez Ovide dans la fable de Philémon et de Baucis, conçoivent l’idée de se déguiser pour reconnaître quel est le meilleur des hommes ; ils descendent chez le roi Oucinara (ou Sivi) : Indra a pris la forme d’un faucon, Agni celle d’un pigeon. Le pigeon, feignant d’être effrayé par le faucon, se pose sur la cuisse du roi, qui le protège contre les atteintes