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situation et ils enseignent aux ouvriers qu’il ne s’agit pas d’aller demander des faveurs, mais qu’il faut profiter de la lâcheté bourgeoise pour imposer la volonté du prolétariat. Il y a trop de faits venant à l’appui de cette tactique pour qu’elle ne prenne pas racine dans le monde ouvrier.


Une des choses qui me paraissent avoir le plus étonné les travailleurs, au cours de ces dernières années, a été la timidité de la force publique en présence de l’émeute : les magistrats qui ont le droit de requérir l’emploi de la troupe n’osent pas se servir de leur pouvoir jusqu’au bout et les officiers acceptent d’être injuriés et frappés avec une patience qu’on ne leur connaissait pas jadis. Il est devenu évident, par une expérience qui ne cesse de s’affirmer, que la violence ouvrière possède une efficacité extraordinaire dans les grèves : les préfets, redoutant d’être amenés à faire agir la force légale contre la violence insurrectionnelle, pèsent sur les patrons pour les forcer à céder ; la sécurité des usines est, maintenant, considérée comme une faveur dont le préfet peut disposer à son gré ; en conséquence, il dose l’emploi de sa police pour intimider les deux parties et les amener, plus adroitement, à un accord.

Il n’a pas fallu beaucoup de temps aux chefs des syndicats pour bien saisir cette situation, et il faut reconnaître qu’ils se sont servis de l’arme qu’on mettait entre leurs mains avec un rare bonheur. Ils s’efforcent d’intimider les préfets par des démonstrations populaires qui seraient susceptibles d’amener des conflits graves avec la police et ils préconisent une action tumultuaire comme étant le moyen le plus efficace d’obtenir des concessions. Il est rare qu’au bout de quelque temps l’administra-