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Léon Bourgeois — qui n’a pas voulu complètement sacrifier à la nouvelle mode, et qui, peut-être à cause de cela, quitta la Chambre des députés pour entrer au Sénat — disait, au congrès de son parti, en juillet 1905 : « La lutte des classes est un fait, mais un fait cruel. Je ne crois pas que c’est en la prolongeant qu’on arrivera à la solution du problème ; je crois que c’est en la supprimant… en faisant que tous les hommes se considèrent comme des associés à la même œuvre. » Il s’agirait donc de créer législativement la paix sociale, en montrant aux pauvres que le gouvernement n’a pas de plus grand souci que celui d’améliorer leur sort, et en imposant des sacrifices nécessaires aux gens qui possèdent une fortune jugée trop forte pour l’harmonie des classes.

La société capitaliste est tellement riche, et l’avenir lui apparaît sous des couleurs si optimistes qu’elle supporte des charges effroyables sans trop se plaindre : en Amérique, les politiciens gaspillent sans pudeur de gros impôts ; en Europe, les préparatifs militaires engouffrent des sommes tous les jours plus considérables[1] ; la paix sociale peut bien être achetée par quelques sacrifices com-

  1. À la conférence de La Haye, le délégué allemand déclara que son pays supportait facilement les frais de la paix armée ; Léon Bourgeois soutient que la France supportait « aussi allègrement les obligations personnelles et financières que la défense nationale impose à ses citoyens ». Ch. Guieysse, qui cite ces discours, pense que le tsar avait demandé la limitation des dépenses militaires parce que la Russie n’est pas assez riche pour se tenir sur le pied des grands pays capitalistes. (La France et la paix armée, p. 45.)