Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la décadence latine : ils n’eurent pas à se louer d’avoir voulu se civiliser !

Dans le cours de ma carrière, j’ai abordé beaucoup de sujets qui ne semblaient guère devoir entrer dans la spécialité d’un écrivain socialiste. Je me suis proposé de montrer à mes lecteurs que la science dont la bourgeoisie vante, avec tant de constance, les merveilleux résultats, n’est pas aussi certaine que l’assurent ceux qui vivent de son exploitation, et que, souvent, l’observation des phénomènes du monde socialiste pourrait fournir aux philosophes des lumières qui ne se trouvent pas dans les travaux des érudits. Je ne crois donc pas faire une œuvre vaine ; car je contribue à ruiner le prestige de la culture bourgeoise, prestige qui s’oppose jusqu’ici à ce que le principe de la lutte de classe prenne tout son développement.


Dans le dernier chapitre de mon livre, j’ai dit que l’art est une anticipation du travail tel qu’il doit être pratiqué dans un régime de très haute production. Cette observation a été, semble-t-il, fort mal comprise par quelques-uns de mes critiques, qui ont cru que je voulais proposer comme solution du socialisme une éducation esthétique du prolétariat, qui se mettrait à l’école des artistes modernes. Cela eût été un singulier paradoxe de ma part, car l’art que nous possédons aujourd’hui est un résidu que nous a laissé une société aristocratique, résidu qui a été encore fortement corrompu par la bourgeoisie. Suivant les meilleurs esprits, il serait grandement à désirer que l’art contemporain pût se renouveler par un contact plus intime avec les artisans ; l’art académique a dévoré les plus beaux génies, sans arriver à produire ce que