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grecques, le légionnaire romain, le soldat des guerres de la liberté, l’artiste de la Renaissance n’ont pas conçu la gloire en faisant appel à un même système d’images. Renan se plaint de ce que « la foi à la gloire est compromise par les courtes vues sur l’histoire qui tendent à prévaloir de nos jours. Peu de personnes, dit-il, agissent en vue de l’éternité... on veut jouir de sa gloire ; on la mange en herbe de son vivant ; on ne la recueillera pas en gerbe après la mort »[1]. Il me semble qu’il faudrait dire que les courtes vues sur l’histoire ne sont pas une cause, mais une conséquence ; elles résultent de l’affaiblissement des mythes héroïques qui avaient eu une si grande popularité au début du XIXe siècle ; la foi à la gloire périssait et les courtes vues sur l’histoire devenaient prépondérantes, en même temps que ces mythes s’évanouissaient[2].

On peut indéfiniment parler de révoltes sans provoquer jamais aucun mouvement révolutionnaire, tant qu’il n’y

  1. Renan, op. cit., tome IV. p. 329.
  2. « L’assentiment, dit Newman, si puissant qu’il soit, associé aux images les plus vives, n’est pas, par cela même, efficace. Strictement parlant, ce n’est pas l’imagination qui crée l’action : c’est l’espérance ou la crainte, l’amour ou la haine, les désirs, les passions, les impulsions de l’égoïsme du moi. L’imagination n’a d’autre rôle que de mettre en mouvement ces forces motrices, et elle y réussit en nous présentant des objets assez puissants pour les stimuler. » (Op. cit. p. 69). On voit que l’illustre penseur se tient très près de la théorie des mythes. On ne saurait lire Newman sans être d’ailleurs frappé des analogies que présente sa pensée avec celle de Bergson ; les personnes qui aiment à rattacher l’histoire des idées aux traditions ethniques, ne manqueront pas d’observer que Newman descendait d’Israélites.