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expliquer ; aussi Renan a-t-il écrit parfois à leur sujet des phrases bien étranges : « La religion est une imposture nécessaire. Les plus gros moyens de jeter de la poudre aux yeux ne peuvent être négligés avec une aussi sotte race que l’espèce humaine, créée pour l’erreur, et qui, quand elle admet la vérité, ne l’admet jamais pour les bonnes raisons. Il faut bien alors lui en donner de mauvaises »[1].

Comparant Giordano Bruno qui « se laissa brûler au Champ-De-Flore » et Galilée qui se soumit au Saint-Office, Renan approuve le second parce que, d’après lui, le savant n’a nul besoin d’apporter, à l’appui de ses découvertes, autre chose que des raisons ; il pensait que le philosophe italien voulut compléter ses preuves insuffisantes par son sacrifice et il émet cette maxime dédaigneuse : « On n’est martyr que pour les choses dont on n’est pas bien sûr »[2]. Renan confond ici la conviction, qui devait être puissante chez Bruno, avec cette certitude très particulière que l’enseignement provoquera, à la longue, au sujet des thèses que la science a reçues ; il est diffi-

  1. Renan, op. cit. tome V, pp. 105-106.
  2. Renan, Nouvelles études d’histoire religieuse. p. VII. Antérieurement il avait dit, à propos des persécutions : « On meurt pour des opinions et non pour des certitudes, pour ce qu’on croit et non pour ce qu’on sait… Dès qu’il s’agit de croyances, le grand signe et la plus efficace démonstration est de mourir pour elles. » (L’Église chrétienne, p. 317). Cette thèse suppose que le martyre soit une sorte d’ordalie, ce qui a été vrai, en partie, pour l’époque romaine, en raison de circonstances spéciales (G. Sorol, Le système historique de Renan, p. 335).