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aucune pitié pour les généraux ou les fonctionnaires qu’il voyait guillotiner après quelque défaite, sous l’inculpation de manquement à leur devoir ; il ne comprenait point ces événements comme peut les juger l’historien d’aujourd’hui ; il n’avait aucun moyen pour savoir si vraiment les condamnés avaient commis une trahison ; l’insuccès ne pouvait être expliqué à ses yeux que par quelque faute très grave imputable à ses chefs. Le haut sentiment que le soldat avait de son propre devoir et l’excessive probité qu’il apportait dans l’exécution des moindres consignes, l’amenaient à approuver les mesures de rigueur prises contre les hommes qui lui semblaient avoir causé le malheur de l’armée et fait perdre le fruit de tant d’héroïsmes.

Il n’est pas difficile de voir que le même esprit se retrouve durant les grèves ; les ouvriers vaincus sont persuadés que leur insuccès tient à la vilenie de quelques camarades qui n’ont pas fait tout ce qu’on avait le droit d’attendre d’eux ; de nombreuses accusations de trahison se produisent, parce que la trahison peut seule expliquer, pour des masses vaincues, la défaite de troupes héroïques ; beaucoup de violences doivent ainsi se rattacher au sentiment que tous ont acquis, de la probité qu’il faut apporter dans l’accomplissement des tâches. Je ne crois pas que les auteurs qui ont écrit sur les faits qui suivent les grèves, aient assez réfléchi sur l’analogie qui existe entre les grèves et les guerres de la liberté, et, par suite, entre ces violences et les exécutions de généraux accusés de trahison[1].

  1. P. Bureau a consacré un chapitre de son livre sur le