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tion classique ; mais le fond est réel, en ce sens que nous avons, grâce aux mensonges de la rhétorique révolutionnaire, une représentation parfaitement exacte de l’aspect sous lequel les combattants voyaient la guerre, l’expression vraie des sentiments qu’elle provoquait et la tonalité même des combats tout homériques qui se livraient alors. Je ne pense point que jamais aucun des acteurs de ces drames ait protesté contre les paroles qui lui furent prêtées ; c’est que chacun y retrouvait son âme intime sous des détails fantastiques[1].

Jusqu’au moment où parut Napoléon, la guerre n’eut point le caractère scientifique que les théoriciens ultérieurs de la stratégie ont cru parfois devoir lui attribuer ; trompés par l’analogie qu’ils trouvaient entre les triomphes des armées révolutionnaires et ceux des armées napoléoniennes, les historiens ont imaginé que les généraux antérieurs à Napoléon avaient fait de grands plans de campagne : de tels plans n’ont pas existé ou n’ont eu qu’une influence infiniment faible sur la marche des opérations. Les meilleurs officiers de ce temps se rendaient compte que leur talent consistait à fournir à leurs troupes les moyens matériels de manifester leur élan ; la victoire était assurée chaque fois que les soldats pouvaient donner libre carrière à tout leur entrain, sans être entravés par la mauvaise administration des subsistances et par la sottise des représentants du peuple s’im-

  1. Cette histoire est encombrée aussi d’une foule d’aventures qui ont été fabriquées à l’imitation d’aventures réelles, et qui ont une parenté évidente avec celles qui devaient rendre populaires. Les trois mousquetaires.