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parfaitement que leurs chefs ne sont rien moins que des révolutionnaires.

Lorsque Bernstein, qui était trop sensé pour ne pas savoir quel était le véritable esprit de ses amis du comité directeur, annonça qu’il fallait renoncer aux grandioses espérances que l’on avait fait naître dans les âmes, il y eut un moment de stupéfaction ; peu de gens comprirent que les déclarations de Bernstein étaient des actes de courage et de loyauté, ayant pour but de mettre le langage en rapport avec la réalité. S’il fallait désormais se contenter d’une politique sociale, il fallait donc aussi négocier avec les partis du Parlement et avec le ministère, faire exactement ce que font les bourgeois ; cela paraissait monstrueux aux hommes qui avaient été nourris de théories catastrophiques. Maintes fois on avait dénoncé les ruses des politiciens bourgeois, opposé leurs habiletés à la franchise et au désintéressement des socialistes, montré tout ce que renferme de convenu leur attitude d’opposition. On n’aurait jamais supposé que les disciples de Marx pussent suivre les traces des libéraux. Avec la nouvelle politique, plus de caractères héroïques, plus de sublime, plus de convictions ! Les Allemands crurent que c’était le monde renversé.

Il est évident que Bernstein avait mille fois raison lorsqu’il ne voulait pas maintenir une apparence révolutionnaire qui était en contradiction avec la pensée du Parti ; il ne trouvait pas dans son pays les éléments qui existent en France et en Italie ; il ne voyait donc pas d’autre moyen pour maintenir le socialisme sur le terrain des réalités que de supprimer tout ce qu’avait de trompeur un programme révolutionnaire auquel les