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ser sa direction au peuple et au gouvernement ; il se vantait de pouvoir bientôt écraser les défenseurs de la Révolution. A l’époque où Proudhon composait son livre sur la Justice, le conflit était loin d’être terminé ; aussi tout ce livre est-il écrit sur un ton belliqueux qui étonne le lecteur d’aujourd’hui : l’auteur parle comme s’il était un vétéran des guerres de la Liberté ; il veut prendre sa revanche contre les vainqueurs d’un jour qui menacent de supprimer toutes les acquisitions de la Révolution ; il annonce la grande révolte qui commence à poindre.

Proudhon espère que le duel sera prochain, que les deux partis donneront avec toutes leurs forces et qu’il y aura une bataille napoléonienne, écrasant définitivement l’adversaire. Il parle souvent la langue de l’épopée. Il ne s’aperçoit pas que ses raisonnements abstraits paraîtront faibles plus tard quand ses idées belliqueuses auront disparu. Il y a dans toute son âme un bouillonnement qui la détermine et qui donne à sa pensée un sens caché, fort éloigné du sens scolastique.

La fureur sauvage avec laquelle l’Église poursuivit le livre de Proudhon montre que dans le camp clérical on avait exactement la même conception que la sienne sur la nature et les conséquences du conflit.


Tant que le sublime s’imposait ainsi à l’esprit moderne, il paraissait possible de constituer une morale laïque et démocratique ; mais de notre temps, une telle entreprise paraît plutôt comique ; tout a changé depuis que les cléricaux ne semblent plus redoutables ; il n’y a plus de convictions libérales depuis que les libéraux ne se sentent plus animés des passions guerrières d’autrefois. Aujour-