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où la vie évangélique, trop haute pour le commun des hommes, puisse être pratiquée sans atténuation. » il observe encore fort bien que le « monastère va suppléer au martyre pour que les conseils de Jésus soient appliqués quelque part »[1] ; mais il ne pousse pas assez loin ce rapprochement : la vie des grands solitaires sera une lutte matérielle contre les puissances infernales qui les poursuivront jusque dans le désert[2] et cette lutte continuera celle que les martyrs avaient soutenue contre leurs persécuteurs.


Ces faits nous mettent sur la voie qui nous conduit à l’intelligence des hautes convictions morales ; celles-ci ne dépendent point des raisonnements ou d’une éducation de la volonté individuelle ; elles dépendent d’un état de guerre auquel les hommes acceptent de participer et qui se traduit en mythes précis. Dans les pays catholiques, les moines soutiennent le combat contre le prince du mal qui triomphe dans le monde et voudrait les soumettre à ses volontés ; dans les pays protestants, de petites sectes exaltées jouent le rôle des monastères[3]. Ce sont ces champs de bataille qui permettent à la morale chrétienne de se maintenir, avec ce caractère de sublime qui fascine tant d’âmes encore aujourd’hui,

  1. Renan. Marc Aurèle. p. 558.
  2. Les saints du catholicisme ne luttent pas contre des abstractions mais contre des apparitions se présentant avec tous les caractères de la réalité. Luther, lui aussi, eut à se battre contre le diable, auquel il jeta son encrier.
  3. Renan. Marc Aurèle. p. 627.