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Les morales religieuses prétendent posséder ce ressort qui manquerait aux morales laïques[1] ; mais il faut faire ici une distinction si l’on veut éviter une erreur dans laquelle sont tombés beaucoup d’auteurs. La masse des chrétiens ne suit pas la vraie morale chrétienne, celle que le philosophe regarde comme vraiment spéciale à leur religion ; les gens du monde qui font profession de catholicisme, sont surtout préoccupés de probabilisme, de rites mécaniques et de procédés plus ou moins apparentés à la magie qui sont propres à assurer leur bonheur présent et futur en dépit de leurs fautes[2].

Le christianisme théorique n’a jamais été une religion appropriée aux gens du monde ; les docteurs de la vie spirituelle ont toujours raisonné sur des personnes qui peuvent se soustraire aux conditions de la vie commune. « Quand le concile de Gangres, en 325, dit Renan, aura déclaré que les maximes de l’Évangile sur la pauvreté, sur le renoncement à la famille, sur la virginité, ne sont pas à l’adresse des simples fidèles, les parfaits se créeront des lieux à part,

  1. Proudhon estime que ce défaut existe pour l’antiquité païenne : « Pendant quelques siècles, les sociétés formées par le polythéisme eurent des mœurs ; elles n’eurent jamais de morale. En l’absence d’une morale solidement établie en principes, les mœurs finirent par disparaître. » (Loc. cit., p. 173)
  2. Henri Heine prétend que le catholicisme d’une épouse est chose très salutaire pour le mari parce que la femme ne reste pas sous le poids de ses fautes ; après la confession, elle se met « de nouveau à gazouiller et à rire. ». De plus, elle n’est pas exposée à raconter sa faute. (L’Allemagne, tome II. p. 322.)