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contre-épreuve et nous demander si la violence prolétarienne ne serait pas susceptible de produire les effets que l’on demanderait en vain aux tactiques de douceur.


Il faut observer, tout d’abord, que les philosophes modernes semblent d’accord pour demander que la morale de l’avenir présente le caractère du sublime, ce qui la séparerait de la petite morale catholique, qui est assez plate. Le grand reproche que l’on adresse aux théologiens est d’avoir fait la part trop large à la notion de probabilisme ; rien ne paraît plus absurde (pour ne pas dire plus scandaleux) aux philosophes contemporains que de compter les opinions qui ont été émises pour ou contre une maxime, en vue de savoir si nous devons y conformer notre conduite.

Le professeur Durkheim disait dernièrement à la société française de philosophie (11 février 1906) qu’on ne saurait supprimer le sacré dans le moral et que ce qui caractérise le sacré est d’être incommensurable avec les autres valeurs humaines ; il reconnaissait que ses recherches sociologiques l’amenaient à des conclusions très voisines de celles de Kant ; il affirmait que les morales utilitaires avaient méconnu le problème du devoir et de l’obligation. Je ne veux pas ici discuter ces thèses ; je les cite seulement pour montrer à quel point le caractère du sublime s’impose aux auteurs qui, par la nature de leurs travaux, sembleraient les moins disposés à l’accepter.

Aucun écrivain n’a exprimé, avec plus de force que Proudhon, les principes de cette morale que les temps modernes ont vainement cherché à réaliser : « sentir et affirmer la dignité humaine, dit-il, d’abord dans tout ce