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vent-ils avoir besoin d’intermédiaires pour fixer la somme qu’ils peuvent exiger de leurs patrons sans excéder des limites raisonnables.

Nous sommes ainsi amenés à considérer l’arbitrage sous un jour tout nouveau et à le comprendre d’une manière vraiment scientifique, puisque, au lieu de nous laisser duper par les abstractions, nous l’expliquerons au moyen des idées dominantes de la société bourgeoise, qui l’a inventé et qui veut l’imposer aux travailleurs. Il serait évidemment absurde d’entrer chez un charcutier et de le sommer de vendre un jambon à un prix inférieur au prix marqué, en réclamant un arbitrage ; mais il n’est pas absurde de promettre à un groupe de patrons les avantages que peut leur procurer la fixité des salaires durant quelques années et de demander à des spécialistes quelles gratifications mérite cette garantie ; cette gratification peut être considérable, si on peut espérer un bon courant d’affaires durant cette période. Au lieu de verser un pot-de-vin à un homme influent, les patrons donnent une augmentation de salaire à leurs ouvriers ; à leur point de vue, il n’y a nulle différence. Quant au gouvernement, il devient le bienfaiteur du peuple et il espère avoir de bonnes élections ; c’est là son profit particulier ; les avantages électoraux qui résultent pour le politicien d’une conciliation bien réussie, valent mieux pour lui qu’un excellent pot-de-vin.

On comprend maintenant pourquoi tous les politiciens ont une admiration si grande pour l’arbitrage ; c’est qu’ils ne comprennent aucune affaire sans pot-de-vin. Beaucoup de nos hommes politiques sont avocats et les clients tiennent largement compte de leur influence