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que le gouvernement ait nié toute relation avec les syndicats ; un mensonge de plus ou de moins ne pouvait gêner un politicien de l’envergure de Waldeck-Rousseau.

La révélation de ces manœuvres nous montre que le ministère comptait sur les syndicats pour faire peur aux conservateurs ; il devient dès lors facile de comprendre l’attitude qu’il a eue durant plusieurs grèves : d’une part Waldeck-Rousseau proclamait, avec une force extraordinaire, la nécessité d’accorder la protection de la force publique à un seul ouvrier qui voudrait travailler malgré les grévistes ; et d’autre part il fermait, plus d’une fois, les yeux sur des violences ; c’est qu’il avait besoin d’ennuyer et d’effrayer les progressistes[1] et qu’il entendait se réserver le droit d’intervenir, par la force, le jour où ses intérêts politiques lui commanderaient de faire disparaître tout désordre. Dans l’état précaire où était son autorité dans le pays, il ne croyait pouvoir gouverner qu’en faisant peur et en s’imposant comme un souverain arbitre des différends industriels[2].

  1. On peut se demander si Waldeck-Rousseau n’a pas dépassé la mesure et ainsi lancé le gouvernement dans une voie bien différente de celle qu’il désirait lui faire prendre ; il me semble que la loi sur les associations n’eût pas été votée sans la peur, mais il est certain que la rédaction en a été beaucoup plus anticléricale que n’eût voulu son promoteur.
  2. Dans un discours du 21 juin 1907, Charles Benoist s’est plaint de ce que l’affaire Dreyfus eût jeté du discrédit sur la raison d’État et conduit le gouvernement à faire appel aux éléments de désordre pour faire de l’ordre.