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la fraude augmentent malgré la répression des lois dans une proportion plus rapide que ne diminuent les délits grossiers et violents comme le pillage, le meurtre, le viol, etc. L’égoïsme le plus bas brise sans pudeur les liens sacrés de la famille et de l’amitié, partout où il se trouve en opposition avec eux[1]. »

Aujourd’hui, d’ordinaire, on estime que les pertes d’argent sont des accidents que l’on est exposé à rencontrer à tout pas que l’on fait et qui sont facilement réparables, tandis que les accidents corporels ne le sont pas facilement ; on estime donc qu’un délit de ruse est infiniment moins grave qu’un délit de brutalité ; les criminels profitent de cette transformation qui s’est produite dans les jugements ; quant aux raisons, elles sont très faciles à trouver.

Notre code pénal avait été rédigé dans un temps où l’on se représentait le citoyen sous les traits d’un propriétaire rural, uniquement préoccupé de gérer son domaine en bon père de famille et de ménager à ses enfants une situation honorable ; les grandes fortunes réalisées dans les affaires, par la politique, par la spéculation étaient rares et considérées comme de vraies monstruosités ; la défense de l’épargne des classes moyennes était un des grands soucis du législateur. Le régime antérieur avait été encore plus terrible dans la répression des fraudes, puisque la déclaration royale du 5 août 1725 punissait de mort le banqueroutier frauduleux ; on ne peut rien imaginer qui soit plus éloigné de nos mœurs actuelles ? Nous sommes aujourd'hui disposés à croire

  1. Hartmann. Philosophie de l'inconscient. trad. franç., tome II, pp. 464-465.