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C’est bien là chez P. de Rousiers une opinion réfléchie, car il revient encore, ailleurs, sur cette question : « Je sais, dit-il, que la loi de Lynch est généralement considérée en France comme un symptôme de barbarie… ; mais si les honnêtes gens d’Europe pensent ainsi, les honnêtes gens d’Amérique pensent tout autrement[1]. » Il approuve hautement le comité de vigilance de la Nouvelle-Orléans qui en 1890 pendit, « à la grande satisfaction de tous les honnêtes gens », des maffiosi acquittés par le jury[2].

Il ne semble pas qu’au temps où la vendetta fonctionnait régulièrement en Corse, pour compléter ou corriger l’action d’une justice trop boiteuse, la population eût une moindre moralité qu’aujourd’hui. Avant la conquête française, la Kabylie ne connaissait pas d’autre mode de répression que la vengeance privée et les Kabyles n’étaient pas de mauvaises gens.

On concédera aux partisans de la douceur que la violence peut gêner le progrès économique et même qu’elle peut être dangereuse pour la moralité, lorsqu’elle dépasse une certaine limite. Cette concession ne peut point être opposée à la doctrine exposée ici, parce que je considère la violence seulement au point de vue de ses conséquences idéologiques. Il est certain, en effet, que pour amener les travailleurs à regarder les conflits économiques comme des images affaiblies de la grande bataille qui décidera de l’avenir, il n’est point nécessaire qu’il y ait un grand

  1. De Rousiers. La vie américaine. L’éducation et la société, p. 218.
  2. De Rousiers, loc. cit., p. 221.