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très sobre de détails sur l’organisation du prolétariat. Cette lacune de son œuvre a été souvent expliquée ; il trouvait en Angleterre, sur l’histoire du capitalisme, une masse énorme de matériaux assez bien classés et déjà soumis à des discussions économiques ; il pouvait donc approfondir les diverses particularités de l’évolution bourgeoise ; mais il n’avait pas beaucoup d’éléments pour raisonner sur l’organisation du prolétariat ; il devait donc se contenter d’expliquer en formules très abstraites l’idée qu’il se faisait du chemin que celui-ci à parcourir pour atteindre l’heure de la lutte révolutionnaire. Cette insuffisance de l’œuvre de Marx a eu pour conséquence de faire dévier le marxisme de sa véritable nature.

Les gens qui se piquaient d’orthodoxie marxiste n’ont voulu ajouter rien d’essentiel à ce qu’avait écrit leur maître et ils ont cru qu’ils devaient utiliser, pour raisonner sur le prolétariat, ce qu’ils avaient appris dans l’histoire de la bourgeoisie. Ils n’ont donc pas soupçonné qu’il y avait une différence à établir entre la force qui marche vers l’autorité et cherche à réaliser une obéissance automatique, et la violence qui veut briser cette autorité. Suivant eux, le prolétariat doit acquérir la force comme la bourgeoisie l’a acquise, s’en servir comme elle s’en est servie et aboutir à un état socialiste remplaçant l’état bourgeois.

L’État ayant joué autrefois un rôle de premier ordre dans les révolutions qui supprimèrent l’ancienne économie, c’est encore l’État qui devra supprimer le capitalisme. Les travailleurs doivent donc tout sacrifier à un seul but : amener au pouvoir des hommes qui lui pro-