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grève générale serait-il donc composé en partant de tendances qui ne soient pas données par l’observation du mouvement révolutionnaire ? serait-ce une œuvre de raisonnement fabriquée par des savants de cabinet occupés à résoudre le problème social suivant les règles de la logique ? serait-ce quelque chose d’arbitraire ? N’est-ce point, au contraire, un produit spontané analogue à tous ceux que l’histoire retrouve dans les périodes d’action ? — On insiste et l’on invoque les droits de l’esprit critique ; nul ne songe à les contester : il faut sans doute contrôler ce tableau et c’est ce que j’ai essayé de faire ci-dessus ; mais l’esprit critique ne consiste point à remplacer des données historiques par le charlatanisme d’une fausse science.

Si l’on veut critiquer le fond même de l’idée de grève générale, il faut s’attaquer aux tendances révolutionnaires qu’elle groupe et qu’elle représente en action ; il n’y aurait pas d’autre moyen sérieux à employer que de montrer aux révolutionnaires qu’ils ont tort de s’acharner à agir pour le socialisme et que leur véritable intérêt serait d’être politiciens : ils le savent depuis longtemps et leur choix est fait ; comme ils ne se placent point sur le terrain utilitaire, les conseils qu’on pourra leur donner seront vains.


Nous savons parfaitement que les historiens futurs ne manqueront pas de trouver que notre pensée a été pleine d’illusions, parce qu’ils regarderont derrière eux un monde achevé. Nous avons au contraire à agir, et nul ne saurait nous dire aujourd’hui ce que connaîtront ces historiens ; nul ne saurait nous donner le moyen de modifier nos images motrices de manière à éviter leurs critiques.