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veté scientifique, qui est la suite des illusions qui avaient fait délirer la fin du xviiie[1]. Parce que l’astronomie parvenait à calculer les tables de la lune, on a cru que le but de toute science était de prévoir avec exactitude l’avenir ; parce que Le Verrier avait pu indiquer la position probable de la planète Neptune — qu’on n’avait jamais vue et qui rendait compte des perturbations des planètes observables, — on a cru que la science était capable de corriger la société et d’indiquer les mesures à prendre pour faire disparaître ce que le monde actuel renferme de déplaisant. On peut dire que ce fut la conception bourgeoise de la science : elle correspond bien à la manière de penser de capitalistes qui, étrangers à la technique perfectionnée des ateliers, dirigent cependant l’industrie et trouvent toujours d’ingénieux inventeurs pour les tirer d’embarras. La science est pour la bourgeoisie un moulin qui produit des solutions pour tous les problèmes qu’on se pose[2] : la science n’est plus considérée comme une manière perfectionnée de connaître,

  1. L’histoire des superstitions scientifiques présente un intérêt de premier ordre pour les philosophes qui veulent comprendre le socialisme. Ces superstitions sont demeurées chères à notre démocratie, comme elles avaient été chères aux beaux esprits de l’Ancien Régime : j’ai indiqué quelques aspects de cette histoire dans les Illusions du progrès. Engels a été souvent sous l’influence de ces erreurs et Marx n’en a pas toujours été affranchi.
  2. Marx cite cettr curieuse phrase de Ure écrite vers 1830 ; « Celle invention vient à l’appui de la doctrine déjà développée par nous : c’est que si le capital enrôle la science, la main rebelle du travail apprend toujours à être docile. » (Capital, tome 1. p. 188. col. 2.)