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était une de celles qui couraient les rues avant que Marx eût jamais rien écrit et elle était devenue un dogme dans le monde socialiste à la fin du règne de Louis-Philippe. Il y a quantité de thèses marxistes du même genre.

Un pas décisif fut fait vers la réforme lorsque ceux des marxistes qui aspiraient à penser librement, se furent mis à étudier le mouvement syndical ; ils découvrirent que « les purs syndicaux ont plus à nous apprendre qu’ils n’ont à apprendre de nous »[1]. C’était le commencement de la sagesse ; on s’orientait vers la voie réaliste qui avait conduit Marx à ses véritables découvertes ; on pouvait revenir aux seuls procédés qui méritent le nom de philosophiques, « car les idées vraies et fécondes sont autant de prises de contact avec des courants de réalité », et elles « doivent la meilleure part de leur luminosité à la lumière que leur ont renvoyée, par réflexion, les faits et les applications où elles ont conduit, la clarté d’un concept n’étant guère autre chose, au fond, que l’assurance enfin contractée de le manipuler avec profit »[2]. Et on peut encore utilement citer une autre profonde pensée de Bergson : « On n’obtient pas de la réalité une intuition, c’est-à-dire une sympathie intellectuelle avec ce qu’elle a de plus intérieur, si l’on n’a pas gagné sa confiance par une longue camaraderie avec ses manifestations superficielles. Et il ne s’agit pas simplement de s’assimiler les faits marquants… » ; il en faut accumuler et fondre ensemble une si énorme masse qu’on

  1. G. Sorel, Avenir socialiste des syndicats. p. 12.
  2. Bergson, loc. cit., p. 21.