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métal des cloches qui sonnent le tocsin de la patrie en danger.

Lorsqu’il arrive au temps où Camille Desmoulins cherche à provoquer un mouvement d’opinion capable d’arrêter la terreur, Jaurès se prononce avec énergie contre cette tentative. — Il reconnaîtra cependant, quelques pages plus loin, que le système de la guillotine ne pouvait toujours durer ; mais Desmoulins, ayant succombé, a tort aux yeux de notre humble adorateur du succès. Jaurès accuse l’auteur du Vieux Cordelier d’oublier les conspirations, les trahisons, les corruptions et tous les rêves dont se nourrissait l’imagination affolée des terroristes ; il a même l’ironie de parler de la « France libre ! » et il prononce cette sentence digne d’un élève jacobin de Joseph Prudhomme : « Le couteau de Desmoulins était ciselé avec un art incomparable, mais il le plantait au cœur de la Révolution[1]. » Lorsque Robespierre ne disposera plus de la majorité dans la Convention, il sera, tout naturellement, mis à mort par les autres terroristes, en vertu du jeu légitime des institutions parlementaires de ce temps ; mais faire appel à la seule opinion publique contre les chefs du gouvernement, voilà quel était le « crime » de Desmoulins. Son crime fut aussi celui de Jaurès au temps où il défendait Dreyfus contre les grands chefs de l’armée et le gouvernement ; que de fois n’a-t-on pas reproché à Jaurès de compromettre la défense nationale ? Mais ce temps est déjà bien éloigné ; et, à cette époque, notre tribun, n’ayant pas

  1. J. Jaurès, op. cit., p. 1731.