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nal »[1]. Nous avons peine aujourd’hui à comprendre l’importance qu’avaient les gens de loi dans l’ancienne France ; il existait une multitude de juridictions ; les propriétaires mettaient un amour-propre extrême à faire juger des questions qui nous paraissent aujourd’hui bien médiocres, mais qui leur paraissaient énormes à cause de l’enchevêtrement du droit féodal dans le droit de propriété ; on trouvait partout des fonctionnaires de l’ordre judiciaire et ils jouissaient du plus grand prestige auprès des populations.

Cette classe apporta à la révolution beaucoup de capacités administratives ; c’est grâce à elle que le pays put traverser assez facilement la crise qui l’ébranla durant dix ans et que Napoléon put si rapidement reconstituer des services bien réguliers ; mais cette classe apporta aussi une masse de préjugés qui firent commettre les plus lourdes fautes à ceux de ses représentants qui occupèrent les premiers postes. On ne peut, par exemple, comprendre la conduite de Robespierre quand on le compare aux politiciens d’aujourd’hui ; il faut toujours voir en lui l’homme de loi sérieux, préoccupé de ses devoirs, soucieux de ne pas ternir l’honneur professionnel de l’orateur de la barre ; de plus il était lettré et disciple de Rousseau. Il a des scrupules de légalité qui étonnent les historiens contemporains ; quand il lui fallut prendre des résolutions suprêmes et se défendre contre la convention, il se montra d’une naïveté qui confine à la niaiserie. La

  1. Taine. La Révolution, tome I, p. 155.