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quand il eut, pour la première fois, une part effective de pouvoir, fut infiniment moins sanguinaire que la bourgeoisie »[1]. Nous ne saurions nous contenter des explications futiles qui suffisent à Drumont ; mais il est certain qu’il y a quelque chose de changé depuis 93. Nous devons nous demander si la férocité des anciens révolutionnaires ne tiendrait pas à des raisons tirées de l’histoire de la bourgeoisie, en sorte que l’on commettrait un contresens en confondant les abus de la force bourgeoise révolutionnaire de 93 avec la violence de nos syndicalistes révolutionnaires : le mot révolutionnaire aurait ainsi deux sens parfaitement distincts.


Le Tiers État, qui a rempli les assemblées à l’époque révolutionnaire, celui que l’on peut appeler le Tiers État officiel, n’était point l’ensemble des agriculteurs et des chefs d’industrie ; le pouvoir ne fut jamais alors entre les mains des hommes de la production, mais entre les mains des basochiens. Taine est très frappé de ce fait que sur 577 députés du Tiers État à la Constituante, il y avait 373 « avocats inconnus et gens de loi d’ordre subalterne, notaires, procureurs du roi, commissaires de terrier, juges et assesseurs de présidial, baillis et lieutenants de bailliage, simples praticiens enfermés depuis leur jeunesse dans le cercle étroit d’une médiocre juridiction ou d’une routine paperassière, sans autre échappée que des promenades philosophiques à travers les espaces imaginaires, sous la conduite de Rousseau et de Ray-

  1. Drumont, op. cit., p. 136.